À l’occasion du compte rendu d’activités du Comité Bastille du 30 Juin 2019 : Remise à jour du Plan Bastille introduisant en dix ans l’impôt progressif sur le patrimoine passif des personnes physiques (IPP) en France.

Notre projet de réforme fiscale a rencontré de multiples objections depuis 2010, auxquelles nous avons répondu sur notre site. La dernière objection sérieuse nous vint de Suisse en 2017 et nous a amené à repenser la question de la prescription de la faute ans le cas de la fraude fiscale.

Nous rencontrons un mur du silence

Nous constatons par le nombre croissant de nos correspondants et des visites sur notre site que nous continuons à être de plus en plus connus et suivis. Cependant, depuis 2017 notre projet se heurte à un mur du silence, de la part :

  • Des professionnels de la Financiarisation (sauf deux banquiers et untraderrepenti) dont les quatre grands cabinets d’audits en particulier (KPMG, EY, Deloitte et PwC), qui comprennent très vite que cette réforme entrainerait l’effondrement de leurs marchés les plus lucratifs.
  • Des économistes y compris la presse spécialisée, sauf trois français plus l’équipe du Tax Justice Network,qui approuvent le principe de taxer plus le patrimoine et moins le revenu, voire pas du tout.
  • Des entreprises cotées et leurs actionnaires, sauf une très petite élite qui sait voler haut (les « albatros », tel un milliardaire français qui nous approuve mais nous interdit de le citer.)
  • Mais aussi de la peur populaire, avec une extrême méfiance envers ce qui touche à la fiscalité en particulier.

Mais qu’ils soient pour ou contre, tous sont d’accord que jamais un gouvernement n’engagera une telle réforme sauf s’il y est contraint et forcé, et nous sommes bien de leur avis.

Pour y voir plus clair, pour mieux comprendre comment une telle réforme fiscale pourrait s’imposer un jour, et quand, et tenir compte de ce que nous avons appris depuis décembre 2017, nous vous proposons une nouvelle approche.

Le cours de l’or et la financiarisation

D’abord suivons le cours historique de l’or, valeur refuge objective et absolue, qui, depuis toujours, monte avec la peur : les spéculateurs achètent de l’or quand ils perdent confiance dans les marchés.

La grande financiarisation de l’économie mondiale, a commencé en 1978 avec un cours de l’or à son maximum historique autour de 600 $ l’once, Jimmy Carter étant encore président des États-Unis. Le formidable accroissement des dividendes que cette financiarisation a rendu possible, du temps de Maggie Thatcher et Ronald Reagan, a fait chuter l’or vers 300 $ l’once en 2000. Ensuite le cours a vite remonté à 850 $ vers 2005, s’est calmé un instant, puis est reparti en 2008 en raison de la crise des subprimes(Lehman Brothers et la suite) et de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) pratiqué par les banques centrales en rachetant sans compter les titres de dettes, version moderne de la planche à billets qu’on faisait tourner. Depuis Mai 2013, le cours a varié entre 1.100 et 1.400 $ l’once. La tendance est à la hausse.

Il est aussi intéressant de suivre l’évolution du VIX Index : Indice de volatilité et de défiance envers les marchés financiers. Il mesure la volatilité prévisible entre les options putet callsur une période type. En périodes précises de crises il a atteint 50, 80, parfois 150… Son dernier pic alarmant date de mai 2018. Il est voisin de 15 en juin 2019 parce que la relance massive par la dette et le déficit qu’a lancé Trump a calmé les marchés. En ce moment le VIX monte.

Quand une banque, centrale ou autre, rachète un titre de dette, cela veut dire que le prix d’achat de ce titre vient augmenter son bilan : la banque s’endette, espérant revendre ou valoriser le titre mieux que ce qu’il a couté. Mais quand c’est une banque centrale, elle nourrit seulement l’espoir de soutenir ainsi l’activité générale sans encore déclencher d’inflation.  Elle a augmenté sa dette et la dette mondiale, mais si l’activité se maintient sans inflation visible cela permet d’attendre et de voir… Et en effet jusqu’à présent il ne s’est rien passé. Ce cours de l’or, quand on y pense, a eu peut-être une importance autrefois, mais aujourd’hui à l’âge du Bitcoin ? Le cours de l’or est-il toujours tellement significatif ? Ne pourrait-on pas regarder les cours d’autres ressources naturelles d’usage très courant ?

On le peut ! Voyez le cours du pétrole sur le graphique ci-dessous :

Les courbes se ressemblent, n’est-ce pas ? C’est d’autant plus frappant que l’or sert dans des biens d’équipement durables (bijoux, mais aussi électronique…) tandis que le pétrole est le plus important des consommables. Il existe cependant des distorsions entre ces cours. Le regretté Albert Merlin, l’économiste-maison de Saint-Gobain, m’avait appris à les suivre il y a quarante ans. J’ai remarqué que le ratio du cours de l’once d’or en dollars au cours du baril de pétrole fut stable autour de 20 entre 1870 et 1940 (20 $ l’once contre 1 $ le baril), et fluctue entre 10 en 1978 et 14 aujourd’hui, avec des pointes bien entendu. Mesuré en dollars-or, le prix du pétrole a donc un peu baissé. Et vous pourrez faire les mêmes observations si vous suivez les cours du blé, de l’aluminium, du mégawattheure, de l’huile de palme…

La perte de valeur du dollar

Cela veut dire que ce n’est pas le cours de l’or qui s’est envolé bien sûr. C’est le dollar qui a fondu.En voici encore un exemple tangible. Revoyez un film de Chaplin d’avant 1914 et dans les scènes qui se déroulent dans un bar d’une grande ville, et regardez affiché au comptoir le prix d’une bière : « ȼ5 », cinq cents ! Au lieu de 3,50 $ aujourd’hui. C’est à peu près le même ratio. Et c’est bien normal : la fortune réelle du monde n’a pas tellement varié. Ce sont nos monnaies qui ont suivi la baisse du dollar. Cela s’appelle l’inflation. Si vous comparez les prix des mêmes denrées entre 1900 et 2019 et annualisez le multiple, vous trouverez le taux de cette inflation : environ 0,95 % par an. Ce n’est pas tellement, dira-t-on.

Mais voilà un premier hic : Le chiffre mesurant la fortune mondiale totale, la totalité de tous les actifs de toutes natures, soit environ 300 trilliards d’euros, est fondé sur leur valeur marchande. Mais la dette mondiale, elle, qui est de l’ordre de 210 trilliards, est fixe, objective et contractuelle. Quand vous devez une hypothèque de 60.000 € sur votre maison, elle reste fixée à ce chiffre même si la valeur de votre maison a chuté… Si la valeur de tous les actifs financiers détenus par un État ou une banque chute en dessous du montant de sa dette la conséquence immédiate est qu’elle ne peut plus emprunter sauf à des taux de plus en plus usuraires.

Théoriquement oui, mais rassurez-vous, vous diront les banquiers, les Ministres des Finances, le FMI, et autres institutions. Cela ne nous arrivera jamais à tous en même temps.

Et jusqu’à présent ils ont eu raison…

Mais prenons encore du recul. Le graphe émanant du Sénat ci-dessous vous montre, en pourcentage du PIB, l’histoire depuis 1880 de la dette publique des pays qui nous intéressent le plus souvent.

Nous découvrons que la dette publique de la France, mesurée en pourcentage du PIB, dont on nous dit qu’elle est si élevée, n’est qu’au 4erang des six, avec le Royaume-Uni ; qu’elle l’a été bien plus, par exemple en 1885-90 et pendant l’entre-deux-guerres ; que le Royaume-Uni a eu une dette bien supérieure à celle de la France pendant sept décennies, entre 1930 et 2000 ; que le Japon a financé son formidable développement tout simplement en s’endettant de plus en plus depuis 1965, pour arriver à une dette double de celle de l’Italie, et que la fameuse dette des États-Unis n’a pas encore tout à fait atteint son niveau astronomique de 1945 à la sortie de la 2nde guerre mondiale. Pourquoi donc dit-on que notre situation est tellement grave ? Décidément ça se complique…

Le solde primaire des nations

Pour comprendre là où ça se corse, il faut maintenant parle du Solde Primaire (Primary Balance). L’expression Solde Primaire désigne la situation budgétaire d’une nation pour une période donnée, avant paiement des intérêts sur l’encours de sa dette durant cette période.

 

Solde Primaire de la France, analyse en %
Produit Intérieur Brut (PIB) 100,0
Recette fiscales 46,0
Ventes d’actifs de l’État 2,5
Recettes propres de l’État 3,0
Service de la Dette 2,5
Déficit 3,0
Dépenses de l’État 57,0

Une impasse budgétaire (déficit imprévu) est actuellement résolue tout simplement par l’accroissement de la dette. Vous avez vu Nicolas Sarkozy le faire à grande échelle face à la crise de 2008 : Il a laissé la dette de la France filer de 500 milliards de plus… et ça a passé. Pour la petite histoire, entre 2002 et 2012 la dette française a doublé passant de 903 à 1.800 Mrd EUR, dont 609 Mrd EUR imputable au mandat de M. Sarkozy, l’analyse économique est cruelle, seulement 1/3 est imputable à la crise.

Et voilà le hic : entre 2020 et 2024 nous allons, dans la majorité du Monde Libre[1], atteindre un solde primaire intenable. En effet, le danger de plus en plus probable est qu’un nombre important de pays participant à ce jeu se trouvent, pendant une période courte, confrontés les uns après les autres à un solde primaire négatif trop élevé pour être financé par le dit accroissement.Alors l’augmentation parfois brutale des taux d’intérêts résultant de la perte générale de confiance provoquerait une impasse. Ceci commencerait par le pays dont la dette étrangère est la plus exposée et continuerait avec d’autres. Mais la France, dont les actifs sont moins financiarisés que d’autres et dont la dette n’est pas la plus élevée, ne sera pas la première des nations à vivre cette impasse. C’est certainement pourquoi nous recommençons à emprunter à des taux négatifs, la dernière fois était au lendemain de la crise de 2008. La dette française est un valeur refuge.

L’étalon-dette

Passons à l’Étalon-Dette : C’est notre système monétaire actuel. Un système où la création de richesses accompagnant l’augmentation de la masse monétaire est financée par l’endettement (ce qui est sain si pratiqué avec modération), mais où les richesses créées sont surtout virtuelles, c’est-à-dire consistent en des actifs surévalués (surcotés), ou même sans existence matérielle.

Nous appuyant sur des publications de spécialistes de l’analyse financière que nous suivons, nous voyons arriver deux effondrements successifs :

  • Entre 2020 et 2024, un effondrement financier dont tout le monde parle déjà. La France ne sera pas la première, parce que son patrimoine est moins dépendant d’actifs financiers, c’est-à-dire côtés, que d’autre pays (USA, RU…) et peut en diminuer les effets par l’appel de 1.000 Mrd EUR sur dix ans, que nous proposons, à l’épargne française, rendu possible par la disparition progressive de l’IR. C’est ce que nous avons convenu le 19 Juin d’appeler le Plan Bastille.
  • Vers la 2e moitié de notre siècle, un effondrement beaucoup plus grave dû au début de la baisse absolue de population mondiale généralement prévue[i], donc des recettes fiscales et sociales, alors que les catastrophes causées par la combinaison Changement Climatique plus Déficit de Renouvellement des Écosystèmes (CCDRE) seront en forte croissance.

Nous pourrions alors vivre le plus grave, suivant la magnitude de :

  • Population décroissante et vieillissante dans l’absolu, avec baisse de l’espérance de vie et des recettes fiscales et sociales.
  • Effondrement de la confiance dans les institutions et dans la protection sociale, et accroissement de la violence engendrée par l’insécurité.
  • Mouvements de populations dans un contexte de conflits migratoires face auxquels cette fois les forces de ce qui restera du Monde Libre seront impuissantes. Demandez leur avis à des militaires professionnels qui ont vécu l’Opération Barkhane…
  • Épidémies nouvelles ? On en a déjà vu.
  • Niveau de la mer qui monte du fait du réchauffement, et notamment de la fracture du Glacier de Thwaites, qui a lui seul peut faire monter ce niveau d’un à deux mètres.

Ceux qui connaissent aussi bien, voire mieux que le Comité Bastille, la gravité de cette situation n’en parlent pas. Si Christine Lagarde, par exemple, ou Mario Draghi, signait et publiait le présent papier, c’est tout de suite que l’effondrement se produirait, en partant de celui des marchés financiers.

Dans ce contexte je constate que quatre sujets sont tabous en présence de notre gouvernement et haute administration, et dans les hautes sphères du CAC40 :

Ceci dit, qu’est-ce que nous Comité Bastille pouvons faire ?

Continuer à coopérer avec nos amis du Ministère des finances bien sûr, pour que le Plan Bastille continue à être peaufiné ; et à coopérer avec les rares partis et mouvements politiques (CAP 21, transfuges du PS, Émergents, etc.) qui veulent en finir avec la politique politicienne, les alliances électorales genre renvois d’ascenseurs, paroles jamais tenues, coups de poignards dans le dos, avec derrière le tout la protection du pouvoir financier d’abord.

Lever des fonds suffisants pour plus fortement promouvoir le Plan Bastille, et mieux lancer des cris d’alarme chaque fois qu’on envisage la privatisation de la protection sociale et de services publics (voir en ce moment Aéroports De Paris), qui rendraient la France plus vulnérable à l’impasse.

À long terme, je suis maintenant convaincu que l’entité parti politique, considéré comme médiateur et courroie de transmission entre le peuple citoyen et les professionnels de la politique, est devenu aussi nocif, couteux et improductif que l’annonçait Simone Weil, dès 1940.

Sommes-nous prêts à suivre les conseils de cette grande philosophe ? En attendant, nous pensons qu’un renouveau politique véritable ne peut venir que de la base, surtout celle des plus oubliés par le pouvoir financier et politique. La multiplication des actions citoyennes acquerra une autorité légitime destinée à résister au pouvoir légal suranné et paralysé face à l’échelle de cette crise qui s’annonce, pour un jour arriver à le coiffer. Cette autorité deviendra légitime parce que la proximité des acteurs et des problèmes auxquels ils font face, avec des résultats modestes mais rapides et positifs, rétablira peu à peu la confiance.

De leurs réflexions peut sortir peu à peu un nouvel ordre constitutionnel. En attendant il dépendra de la capacité à rêver et à espérer, et de la bienveillance générale dans tous les échanges, plutôt que s’épuiser à réformer une fois de plus des systèmes froids, théoriques, figés et obsolètes, protégés par des tours d’ivoire défendant d’abord les statuts, les Doxas, et les pouvoirs (politiques et/ou financiers) en place.

 

André Teissier du Cros

Clément Carrue


[1]Nous continuons à appeler Monde Libre l’ensemble des nations dont la constitution respecte au moins en principe l’État de droit, la Séparation des Pouvoirs, la Séparation de la Religion et de l’État (Laïcité), un renouvellement des gouvernements par le jeu pacifique du Suffrage Universel, la Souveraineté du Peuple (Démocratie) et la Souveraineté de l’Individu (République) lequel est hors d’atteinte du pouvoir politique dans sa vie privée(Limited Government). Si vous me dites qu’il rétrécit en ce moment, je ne vous contredirai pas.

[i]Ces prévisions, par exemple celles de l’ONU, indiquent que la population maximale se produirait entre 2060 et 2100. Cela dépend de la manière dont les divers facteurs de diminution de population (natalité en chute plus brutales, épidémies nouvelles, cataclysmes résultant du changement climatique, etc., sont pris en compte.