Entre 2009 et 2020, la fortune des milliardaires français a bondi de 439 %, classant notre pays second à la course à la concentration du capital derrière la Chine (+ 1146 %) et devant le Canada (+ 238 %), Hong Kong (+ 208 %), l’Allemagne (+ 175 %), les États-Unis (+ 170 %) et le Royaume-Uni (+ 168 %).
Nous pouvons faire pleinement confiance à ces chiffres, ils proviennent de leurs banquiers et comptables (voir le UBS/PWC billionaires report 2020).
Ceci n’aurait pas été possible sans les réformes fiscales pro-capital de ces dernières années, dont les dernières en date : la suppression de l’ISF et le prélèvement forfaitaire unique (ou flat-tax sur les plus-values de vente des valeurs mobilières de placement à 30 %). Depuis 2017, le versement des dividendes a augmenté de 62 %.
Selon le Comité d’Évaluation de Réforme de la Fiscalité ces suppressions ont permis d’augmenter fortement les revenus des 0,1% de Français les plus aisés.
Le Comité Bastille avait anticipé ce genre de tendance dans son modèle : taxer la fortune.
Le Ministère des Finances cité dans Le Monde dit qu’il n’est pas question dans le contexte actuel de revenir à une instabilité fiscale dite nuisible, ni d’augmenter des impôts. Cela se comprend en période d’endémie !
Mais personne ne parle de compromettre la stabilité fiscale. La France est sur ce plan, depuis des décennies, un modèle de stabilité au niveau mondial.
Personne non plus ne parle d’augmenter l’ensemble de la pression fiscale qui est très élevée en France, on le sait.
Aujourd’hui dans le monde développé on parle de plus en plus de taxer la fortune. Le Comité Bastille propose depuis 2010, non pas de rétablir l’ISF très critiquable pour d’autres raisons, mais d’aller bien plus loin : remplacer par étapes, sur dix ans, tous impôts sur tous revenus par un impôt de 0 à 3 % sur le seul patrimoine des personnes physiques. Ceci sans remettre en question encore la pression fiscale globale.
Cette fiscalité commencerait par nous rapprocher du modèle fiscal d’un voisin immédiat, la Suisse, qui pratique un impôt progressif sur la fortune de 0 à 3 %, mais un impôt fédéral sur le revenu de seulement 8 % flat. Et il est facile de vérifier que la Suisse est en Europe l’un des pays les plus riches par habitant, le plus prospère globalement, le plus compétitif au plan mondial, et où les bas salaires sont singulièrement élevés.
Il suffit pour se rendre compte de cette compétitivité mondiale de constater que les investissements en Suisse à l’étranger sont égaux aux investissements français, pour une population huit fois moindre.
En outre notre gouvernement continue à croire en une vieille lune : la relance de l’investissement par la diminution de l’impôt, combinée avec un ruissellement du haut vers le bas de la fortune accrue par les allègements d’impôts.
Suivre l’exemple portugais, relancer l’investissement, pour relancer le pays.
Pour relancer l’investissement, notamment à long terme, et en même temps créer les emplois dont nous avons particulièrement besoin en période de pandémie, nous proposons de combiner cette réforme fiscale avec une mobilisation de l’épargne des Français par des bons du trésor et des opportunités d’investissement en fonds permanent[1]. Cette mobilisation serait attractive : un intérêt de 1,5 à 2 points au-dessus du taux de base des Livrets A, plus des participations à des fonds sectoriels par des obligations et actions privilégiées mobiliserait facilement 100 milliards par an qui dorment dans des comptes courants et autres instruments liquides. Ces investissements ainsi que la gestion de cette épargne serait confiée à la Banque Publique d’Investissement donc c’est la vocation naturelle.
La relance par la consommation fonctionne, preuve à l’appui.
Lors du soulèvement spontané des Gilets Jaunes, Emmanuel Macron avait décidé une série de mesures soulageant la situation des plus modestes soit par des aides provisoires, soit par des compléments de revenus, soit par des réductions fiscales représentant théoriquement pour un coût d’environ 13 milliards d’euros
Les grands experts de la financiarisation de notre économie avaient prédit notre effondrement, il n’en a rien été, au contraire. La petite reprise de la croissance qui avait suivi avait en fait permis une légère augmentation des recettes fiscales, notamment du fait de la TVA, et n’avait évidemment eu aucun effet sur l’inflation qui reste dangereusement près de zéro.
André Teissier du Cros
[1] Fonds combinant les crédits et obligations à très long terme soit plus de trente ans, et les actions privilégiées donc sans droit de vote.