Depuis 1944 – j’avais sept ans – je me suis peu à peu formé une certaine idée du Monde Libre : 

Un club de nations liées par la pratique de l’Etat de Droit et du Suffrage Universel, engagées par leurs constitutions à respecter les libertés et en particulier la liberté de conscience, donc à interdire qu’un résident puisse être condamné pour ce qu’il est, ce qu’il croit, ou a cessé de croire ;

Des nations engagées par des traités – le plus ancien est le Traité de l’Atlantique Nord – à respecter l’autorité de l’Organisation des Nations Unies, à ne chercher à résoudre leurs conflits que par la négociation et l’arbitrage, à n’entrer en guerre que quand l’ONU la jugerait nécessaire pour la sécurité du Monde Libre lui-même, mais alors à le faire en appliquant la règle du Un Pour Tous, Tous Pour Un ;

Ce Monde Libre bénéficiant assez de la formidable puissance militaire et économique de l’une d’elles, les Etats Unis, pour la considérer comme premier garant de la paix ;

Ce Monde Libre ayant inspiré une Union Européenne qui a alors connu une paix, une prospérité, une liberté, un respect de la dignité humaine, sans ne subir ni s’imposer aucune guerre, dont ses habitants et leurs ancêtres les plus reculés n’avaient jamais osé rêver, et ceci en s’élargissant jusqu’à rassembler plus de cinq cent millions de citoyens et à devenir la première puissance économique, non seulement par son PIB – qui ne veut plus dire grand chose –  mais aussi par sa fortune quantifiable, et par sa qualité et son espérance de vie.

Je viens de comprendre…

… que cette idée n’avait rien de permanent depuis trois événements de 2016, et c’est très douloureux: Le vote du Brexit par les Anglais (je dis bien Anglais et non Britanniques) ; l’élection, malgré un déficit d’environ deux millions et demi (!) de voix grâce à une constitution antédiluvienne, d’un Donald Trump prêt à tourner le dos aux principes mêmes du Monde Libre ; et maintenant, en France, l’opinion semblant poussée par le nouveau vent d’extrême droite réactionnaire, intolérante, haineuse et xénophobe, l’apparition inattendue aux primaires de la Droite d’une majorité ultra-conservatrice dont les dires impliquent qu’elle serait prête à tourner le dos à la République laïque comme à l’Europe. 

Je dis bien à tourner le dos, et je m’en explique.

Je ne peux pas oublier 1944 et l’arrivée des alliés à Paris. A ce moment là, les Français se sont mis à se comporter de façon incroyable pour l’enfant que j’étais : Ils se sont mis à parler, à rire, à discuter le coup avec passion, à dire ce qu’ils pensaient, à se contredire, à chanter et danser, et à parler de demain. Le Monde Libre, dont la France s’était trouvée coupée en Juin 1940 et que j’étais bien trop petit pour avoir connu, était de retour, cette fois porté par un espoir immense. 

Et jusqu’à Novembre 2016, j’ai été porté tant bien que mal – de plus en plus mal – par un sentiment sousjacent de paix et de sécurité dicté par mes souvenirs. 

Oui, je sais, notre monde est pourri, corrompu, divisé. 

Oui, il triche avec ses valeurs, et a oublié de les enseigner. 

Oui il laisse les fous de Dieu du fascisme islamique massacrer des civils, des femmes, des enfants, des vieillards et venir nous porter chez nous une forme de guerre hideuse, recrutant parfois nos jeunes pour en faire des kamikazes qui tuent des innocents dans les lieux et les moments où précisément ils expriment l’art du vivre ensemble dans la tolérance.

Mais ce monde était encore libre. Libre de s’exprimer, de s’indigner, de protester, de manifester, de se moquer, de s’associer, d’entreprendre, et de poursuivre en justice. Après avoir perdu tant de batailles, il avait gagné toutes les guerres. Il était accueillant, généreux et hospitalier.  Et on s’y sentait en sécurité grâce au parapluie armé de l’Amérique. C’était évident en 1944. Ce l’était en 1949 au moment grandiose du Plan Marshall et du pont aérien sur Berlin. Ce l’était beaucoup moins pendant les guerres de Corée et du Vietnam. Mais les rancœurs et les doutes s’étaient estompés en 1989 quand le Rideau de Fer s’est effondré. Et encore en 1991, pendant la première guerre du Golfe qui avait vu Saddam Hussein, un dictateur, rendre gorge et renoncer à son annexion du Koweït par la force. La France était présente dans cette guerre. Comme elle l’est tant bien que mal quand l’ONU l’appelle.

Bien sûr, nous avions alors acquis toutes sortes de raisons pour considérer l’Amérique avec des réserves croissantes : Sous prétexte d’être le gendarme du Monde Libre, ne poursuivait-elle pas surtout des intérêts nationaux d’abord, aux fréquentes odeurs de pétrole, de nature de plus en plus financiarisée ? Ne prenait-elle pas trop souvent des libertés avec les droits de l’Homme, L’Etat de Droit, la souveraineté des nations, l’environnement et les ressources naturelles, s’aidant de la puissance sans égale de sa monnaie ?

Mais en septembre 2001 tout était oublié avec le meurtre de milliers d’innocents dans les tours du World Trade Center de New York, qu’a tout de suite revendiqué le fascisme islamique. Alors, de nouveau, nous étions tous américains.

En 2003, le doute est brutalement revenu: Nous nous félicitions parce que la France et l’Allemagne disaient Non à l’Amérique et au Royaume Uni qui envahissaient l’Irak au mépris de la position de l’ONU, en parlant au monde d’une seule voix pour la première fois dans leur histoire tandis que pour la première fois depuis le 19e siècle l’Union Européenne recevait plus de migrants que les Etats Unis ; des migrants fuyant le fascisme islamique, mais aussi d’autres guerres et des cataclysmes résultant du changement climatique.

Mais en 2008 encore un miracle s’était produit pour nous rassurer et nous mettre de nouveau en joie : Barack Obama devenait le premier président afro-américain ; et était réélu en 2012. Décidément tout restait possible.

Mais maintenant ? 

Donald Trump est Président des Etats Unis élu sur un programme qui signifierait que l’Amérique est démissionnaire du Monde Libre. 

L’Angleterre vient de lui porter avec le Brexit un grave coup, ainsi qu’à l’Union Européenne, sans même savoir encore comment elle accomplira sa sortie de l’UE sans causer des dommages sérieux chez elle et autour d’elle. 

Et les deux constituent un grand encouragement au retour des frontières protectionnistes tant envers les personnes, qu’envers les échanges et même les convictions chez nous et dans toute l’Europe… 

Comment pourrions nous voter, Dimanche et d’ici Mai 2017, pour remettre ce Monde Libre sur l’agenda des priorités non négociables en France et en Europe ?

Là, j’ai une suggestion très concrète à vous faire.

Huit cent mille bébés naissent en France tous les ans.

Je vous présente, pris au hasard, le Bébé Inconnu.

Ses parents sont-ils heureusement mariés, jouissant de bonnes situations ? Ou bien le père est-il alcoolique et la mère droguée, et sont-ils tous deux en chômage? Sont-ils en situation de résidence en France irrégulière, l’un venu du Congo et l’autre d’Érythrée ? La mère est-elle musulmane, officiellement secrétaire du père, mais en réalité sa deuxième épouse aux yeux de leur loi? Ou bien est-elle homosexuelle, ayant décidé avec sa compagne d’avoir un enfant pour elles deux ? Sa mère vient-elle de mourir en couches? Bébé inconnu, je vous dis, autant que le Poilu sous l’Arc de Triomphe. Ce qui est sur, c’est que:

C’est une fille de trois kilos et demi.

Elle est normalement constituée et vigoureuse, dit l’autorité médicale, c’est une homo sapiens, vous pouvez constater que pas un orteil ne manque à l’appel.

Elle est née en France.

Sa mère enceinte d’elle l’avait gardée, nous ignorons pourquoi, au lieu d’opter pour l’avortement qui, chez nous, est libre bien qu’intelligemment encadré depuis 1975. La preuve : Par rapport à 1975, nous avons plus de bébés qui naissent et moins d’avortements ! Bravo Simone Veil.

Elle est innocente: pas de casier judiciaire, pas d’engagement à adorer et à haïr, pas de préjugés ou de méfiance, rien. Elle est sans défense donc toute prête à devenir une victime dès l’instant ou la situation, ou la nature, de ses parents viendrait à créer autour d’elle un mur infranchissable. La nature, ou même la race, que nous ignorons puisque notre République laïque interdit encore tout découpage ethnique de la population. Et vous savez à quel point tous les nouveaux nés se ressemblent…

Alors, voila l’idée.

Montrez sa photo à tous nos candidats aux primaires de tous bords, à l’élection présidentielle, et aux prochaines législatives, et demandez-leur:

Vous engagez-vous à ce que cette petite fille ait droit à la citoyenneté si elle confirme ce souhait à l’age adulte? C’est ce que dit le Droit du Sol dans notre Constitution, celles des Etats d’Amérique du Nord et du Sud, des membres de l’Union Européenne, de l’Océanie et j’en passe. Ou bien voulez vous amender la Constitution de notre République encore laïque et revenir au Droit du Sang qui fera que, toute innocente qu’elle est, elle tombera en première classe (le Nous…) ou en deuxième classe (Le Eux) de l’humanité en défi à la justice la plus élémentaire ? 

Lui accordez-vous les mêmes droits fondamentaux – inaliénables, disent les Américains – spécifiés dans toutes les Déclarations des Droits de l’Homme disponibles dans nos lois, les lois européennes, britanniques, américaines, déclarations universelles défendues par l’ONU ; ou bien voulez vous revenir à la malchance d’être mal né, comme avant notre révolution ?

Aura t’elle le Droit de Vote comme tous, ou bien voulez vous revenir avant 1848 ?

Aura t-elle le droit et le devoir d’une instruction obligatoire et gratuite? Ou bien allez vous nous ramener au niveau des Etats-Unis ou la qualité de l’éducation est directement dépendante des revenus des parents, de leur bonne volonté à payer, et des faveurs automatiques dont ils bénéficient s’ils habitent dans un bon neighborhood ?
Aura t-elle accès à l’assurance universelle santé, chômage, vieillesse, que notre Sécu rend possible depuis 1945, quand le parlement appliquait les objectifs du Conseil National de la Résistance dans une France ruinée, dévastée (12 000 ponts détruits…), dont le PIB par tête était retombé à son niveau d’avant 1913, qui venait de compter six cent cinquante mille morts, conséquences de la guerre mondiale qui venait de finir, en avait compté un million et demi dans la guerre précédente, et dont la population était revenue à son niveau de 1845 ?

Lui reconnaissez-vous son droit à l’égalité des chances au départ, autant que notre richissime pays (le cinquième du monde pour le patrimoine par tête) peut lui accorder ?

Lui reconnaissez vous les mêmes droits que ceux d’un homme ? Ou bien voulez vous revenir au bon vieux temps des lois l’encourageant à dépendre d’un conjoint assez macho pour que sa masculinité ne fasse aucun doute, de préférence dans le cadre d’un mariage légal et traditionnel, robe blanche et gâteau compris ?

Lui reconnaissez-vous parmi ses droits le très élémentaire droit à la vie dans un univers lui-même vivant, c’est à dire où les ressources restent naturelles, où l’eau potable reste accessible, où le ciel est bleu de temps en temps, où le pH de la pluie est neutre, où les écosystèmes continuent à se renouveler, où ce qu’elle mangera ne compromettra pas sa santé et celle de ses futurs enfants ?

Voulez-vous qu’un jour, prenant du recul quand elle sera à un age avancé, elle se félicite d’avoir eu la chance inouïe d’être née en France, au lieu de maudire les circonstances qui l’ont condamnée à naître dans ce malheureux pays quand elle aurait pu naître dans le pays d’origine de ses parents, un pays qu’elle n’a jamais connu, et où elle est à jamais étrangère ?

Oui mais en pratique. me direz-vous, comment vote t-on, dès Dimanche ?

Vous allez en avoir plusieurs fois l’occasion d’ici un an. Lisez bien les programmes électoraux, posez des questions, et jugez vous-mêmes. Vous êtes les bienvenus si vous voulez diffuser cet article…

Parce que vous croyez qu’on sortira de la crise en votant ?

Pas seulement ! Nous proposons depuis des années un processus de sortie de crise. Si vous ne le connaissez pas encore, naviguez sur notre site.